par rev starcky
D’après l’historien grec Hérodote qui s’y rend en 45 av. J.-C., c’est vers 2750 av. J.-C. qu’est fondée la ville de Tyr. En fait, il s’agit de l’arrivée au Liban des Cananéens et des Sémites dont le dialecte deviendra le phénicien. Les futures fouilles de Tyr atteindront sans doute des niveaux profonds attestant qu’avant cette date d’autres populations habitaient le site, comme c’est le cas pour Byblos ou Ugarit.
Au XIV° siècle av. J.-C., les archives du Pharaon Aménophis IV (Akhenaton) contiennent dix lettres adressées par le roi de Tyr Abimilki pour lui demander secours contre les envahisseurs venus du pays d’Amourrou, en Syrie. Elles sont rédigées en acadien, la langue diplomatique de l’époque, mais divers indices prouvent que la langue parlée à Tyr était déjà le phénicien. Au siècle suivant, l’Egypte reprend le contrôle de la ville, comme le prouvent deux inscriptions égyptiennes portant le nom de Séti 1er et celui de Ramsès II, retrouvées dans des déblais près du cimetière chiite actuel.
Vers 1200 av. J.-C., l’invasion des « peuples de la mer » libère la Phénicie de la tutelle égyptienne. Durant 10 siècles, Tyr sera le port phénicien le plus actif et fondera des comptoirs et des colonies sur tout le pourtour de la Méditerranée et même au-delà du détroit de Gibraltar, à Lixus sur la côte marocaine et à Gadès (l’actuelle Cadix) sur la côte de l’Espagne et la route des métaux. Parmi les marchandises exportées par Tyr, rappelons les étoffes teintes de pourpre et certains types de céramiques. Vers 967 av. J.-C., Salomon demande au roi Hiram de Tyr le bois de cèdre et les artisans nécessaires à la construction de son palais et du Temple de Jérusalem, et un siècle plus tard, la fille d’Ithobaal, roi de Tyr et Sidon, Jézabel, devient l’épouse du roi Achab d’Israël, et leur fille Athalie épouse le roi de Juda Joram.
C’est vers 814 qu’Elissa, sœur du roi de Tyr Pygmalion, fonde Carthage, la « ville nouvelle » (Quart Hadasht en Phénicien). Dans la tradition reprise par Virgile, elle s’appelle Didon. Le poète nous la montre éprise du héros troyen Enée, qui la quittera pour fonder une cité sur la colline du Palatin, le centre de la future Rome que fonderont en 753 ses descendants Remus et Romulus. En fait, la guerre de Troie nous reporterait du XII° siècle, l’époque des légendes homériques, et il faut donc dissocier la légende d’Enée du récit de la fondation de Carthage.
Au IX° siècle, les Phéniciens sont présents en Sardaigne, comme en témoigne l’inscription de Nora, et à Chypre, qui a pu servir de relais à la transmission de l’alphabet phénicien aux Grecs. Au siècle suivant, Hiram, roi de Tyr, avait un gouverneur sur la côte sud de l’île. Les plus anciennes inscriptions grecques datent de cette époque, et la célèbre légende de Cadmos fils du roi de Tyr Agénor, qui après une vaine recherche d’Europe sa sœur aboutit en Béotie, où il enseigne l’alphabet phénicien, confirme à sa manière le rôle de Tyr dans la diffusion d’un instrument de culture devenu universel.
Du IX° au VII° siècle, les cités-états de la Phénicie sont plus ou moins tributaires de l’Assyrie. De 586 à 574, les troupes de Nabuchodonosor, roi de Babylone, assiègent la ville insulaire et ruinent la Tyr continentale. Les célèbres prophéties d’Ezéchiel font l’écho de ces événements, mais aussi de l’ampleur du commerce de Tyr et de la splendeur de la ville. Pourtant la concurrence des Grecs en Méditerranée est déjà très active. C’est l’époque où les Ioniens de Phocée fondent Massalia (Marseille), sur une côte connue des Phéniciens.
En 539, Cyrus prend Babylone et jusqu’en 333, la Phénicie fera partie de la V° satrapie perse, avec la Palestine, la Syrie et Chypre. Son importance est réduite au profit de Sidon. Les rois de Tyr prêtent leur flotte au Grand Roi dans les luttes que la Perse mène contre la Grèce.
En 331, Alexandre met fin à l’empire perse. Dès 333, il descend le long de la côte syro-phénicienne, et après un siège de sept mois, durant lequel il relie par un môle l’île de Tyr au continent, il prend la ville d’assaut. Les successeurs d’Alexandre se disputent la Phénicie, mais de 287 à 200 environ, elle relève de l’Egypte, puis, jusqu’à l’arrivée des Romains en 64, elle fait partie de l’Empire Séleucide. L’hellénisation est très intense dans tous les domaines et le grec restera la langue prépondérante durant toute la période romaine et byzantine.
C’est de la période romaine que datent la plupart des monuments de Tyr dégagés par les fouilles : le bel arc qui ouvre la voie à portiques de l’isthme qui a succédé au môle ; l’imposante nécropole qui l’avoisine ; l’hippodrome, de près de 500 m de long ; une allée à colonnes de cipolin, large de 21 m : une curieuse arène rectangulaire à gradins ; une palestre et des thermes, et bien d’autres édifices dégagés par l’Emir Maurice Chéhab, à l’époque Directeur des Antiquités au Liban. Le chantier qu’il a ouvert plus au Nord a révélé les restes de la cathédrale, dont les colonnes de granit rose ont été empruntées par les Croisés à un temple voisin, sans doute celui d’Hercule ou Héraclès, le grand dieu de Tyr. Ce temple romain succédait au temple phénicien de Melqart, dont le nom signifie « le Roi de la ville », un Baal assimilé à Héraclès. Sa mère, la grande déesse de la ville, était Astarté, Astéria en grec, l’épouse de Baal-Shamêm, « le Maître-des-Cieux », assimilé à Zeus. L’emplacement de leurs temples n’a pas été retrouvé.
Le Christianisme a pénétré très tôt en Phénicie. Non seulement Jésus a parcouru le « territoire de Tyr » (Marc, 7,24-31), mais dès 58, l’apôtre Paul trouve à Tyr une communauté chrétienne déjà formée (Actes des Apôtres 21, 3-7, Cf. 11,19). Le célèbre théologien Origène y passera la fin de sa vie († 255). La Tyr romaine compta aussi des géographes comme Marin et des philosophes comme Maxime et Porphyre. Le commerce tyrien des étoffes, de la pourpre, du verre, était très prospère et se maintient durant l’époque byzantine.
En 636, Tyr est soumise à l’Islam, dont elle devient l’arsenal principal. Elle est la plus commerçante des cités côtières. A la veille des Croisades, la majeure partie de la population est chiite. Tyr ne se rendit aux Croisés qu’en juin 1124, mais resta en leur possession jusqu’en 1291, date du départ des derniers Croisés. Rappelons que c’est à Tyr que se déroulait le couronnement des rois de Jérusalem.
Sous le règne des Mamelouks et des Turcs, Tyr perdit son importance. Récemment, elle reprenait vie, quand la guerre lui porta un coup qui serait fatal, si la communauté internationale ne lui venait en aide.
Par le Révérend Père Jean Starcky - Directeur de Recherche Honoraire (CNRS)
(Chronique trimestrielle de l'AIST - Avril 1984