Allocution de son Excellence M. HERVÉ DE CHARETTE
Ancien Ministre des Affaires étrangères en France
A l’occasion du Symposium organisé par l’Association pour la Sauvegarde de Tyr à l’Unesco
le 5 nov. 2007
«Tyr, patrimoine mondial protégé par la Convention de la Haye en temps de conflits armés»
Un jour Madame Marguerite Yourcenar avait dit « de ne plus penser à une meilleure cause à défendre que celle de Tyr ». C’est une phrase lourde de significations et qui me conduit à me tourner d’abord vers vous, Monsieur le Président de l’Association Internationale pour la Sauvegarde de Tyr, l’éminent professeur Jean Leclant, Secrétaire perpétuel de l’Académie des Inscriptions et Belles Lettres, et vers vous chère Maha Chalabi, notre Secrétaire général brillante, passionnée, inépuisable pour la cause de Tyr, pour vous dire à l’un et à l’autre et à toutes vos équipes, d’abord l’admiration que je porte pour le travail formidable que vous assumez depuis de longues années.
Grâce à votre association, certes il y a les efforts des chercheurs, des universitaires, de l’Unesco, des institutions, etc., mais il est vrai que votre Association est l’âme de tous ses efforts, qu’elle les rassemble, qu’elle les inspire, qu’elle leur donne du sens et qu’elle en fait un bouquet remarquable. Je ressens un honneur immense d’avoir à lancer l’appel pour Tyr. C’est avec plaisir et bonheur que je m’en emploie.
C’est un appel renouvelé pour la sauvegarde et la protection du site de Tyr, dans le cadre de la convention internationale de 1972 de l’Unesco sur la protection du patrimoine mondial et culturel.
Mesdames, Messieurs, la sauvegarde de Tyr est plus que jamais nécessaire, et par les temps qui courent, urgent. Tyr, chargée d’histoire, est aujourd’hui plus que jamais menacée par la situation qui est née du conflit israélo-arabe et de tout ce qui s’en déduit, et qui rend cette région troublée et malheureuse.
Que l’on songe à toutes les grandes cités qui ont marqué l’histoire de la Méditerranée depuis plusieurs milliers d’année : Alexandrie, Athènes, Rome, Carthage, Cadix, Tyr naturellement, on peut bien dire que Tyr a connu une histoire qui peut se comparer aux autres. En son âge d’or, elle était riche, prospère, puissante, opulente, le marché des nations, selon Isaïe, était puissant sous le grand roi Hiram, qui reste très vivant dans la mémoire collective. Elle a dominé le commerce méditerranéen et fondé de nombreux établissements dont il reste des traces vivantes sur toutes les côtes de la Méditerranée, y compris en Corse par exemple, elle a connu plus de 1500 années de gloire, de combats, de succès, d’échecs, de rayonnement, période où elle pesait de façon déterminante sur le destin et sur la vie des peuples de la Méditerranée. C’est bien une histoire exceptionnelle, à la fois tragique, comme l’est toujours l’histoire des hommes, mais aussi magnifique, impressionnante, et qui fait qu’on peut la comparer aux plus grandes cités de la Méditerranée.
La richesse de ses monuments, de ceux que l’on connaît et je pense plus encore de ceux que la recherche archéologique découvre de façon continue, est à elle seule une véritable encyclopédie. Et enfin chacun comprend bien qu’aujourd’hui Tyr est menacée. De toutes les grandes cités antiques que j’ai citées, elle est la plus faible. Elle est celle qui appelle notre protection. Et il est vrai que le Liban, épuisé par un conflit interminable, déchiré par ses tensions intérieures, découragé, a besoin de nous pour l’aider à sauver Tyr. Et c’est la raison qui nous rassemble aujourd’hui.
Je voudrais vous inviter à porter votre regard sur cette ville assise aux portes de la mer, comme nous l’écrivait Ezéchiel. Ce n’est pas seulement à cause du riche passé que je viens d’indiquer, mais parce qu’elle a vocation à être la représentation de l’universalité en Méditerranée. Vous la connaissez, elle fut la première des cités phéniciennes, elle a connu les Hébreux, le roi David et le roi Salomon, et elle a aidé à construire ce temple qui pèse encore dans l’histoire des hommes comme un événement formidable. Elle a payé tribut aux Assyriens, aux Babyloniens, aux Perses, elle s’est opposée dans le drame que vous savez à Alexandre le Grand. Elle fut une cité chrétienne et musulmane, elle a été conquise par les Croisés, et nombre d’églises ont été construites qui ont été par la suite détruites lorsque les Francs furent chassés de Tyr. Elle devint ottomane, avant d’être ce qu’elle est aujourd’hui. Jean d’Ormesson dit que huit civilisations se sont succédées sur ce petit territoire.
Aucune des civilisations de la Méditerranée n’est étrangère à Tyr. C’est cela qui donne à cette ville cette vocation universelle que l’on trouve dans quelques rares villes du monde. Je pense qu’il faut une rencontre exceptionnelle entre un lieu source de l’esprit et qui attire les hommes et un peuple qui porte en lui une lumière et une force particulières. C’est cela qu’est Tyr, dans notre cœur et dans notre mémoire. En défendant Tyr, nous ne défendons donc pas simplement des vestiges archéologiques, des monuments historiques, quels qu’en soient le mérite et l’intérêt remarquables, nous défendons un fragment mythique du patrimoine de l’humanité. Mais nous savons avec Paul Valéry que les civilisations sont mortelles, et nous savons aujourd’hui que ce qui est menacé, c’est que disparaissent, dans la violence de notre temps, jusqu’aux sources de la grandeur de Tyr. Jean d’Ormesson disait en 1981 à l’occasion du premier appel international pour sauver cette ville, Tyr est en train de mourir.
Il y a trente ans, ce qui menaçait Tyr, c’était l’oubli, désormais, ce n’est plus l’oubli, c’est la guerre et l’indifférence, comme l’a illustré la tragédie de juillet 2006. Voilà pourquoi, cet appel solennel chers amis, vient à point pour que Tyr ne soit la cible, d’un côté comme de l’autre, la ville bombardée, la ville attaquée par l’artillerie israélienne. Aussi à la lumière, des événements actuels du Liban, qui expriment la difficulté de ce peuple à vivre, à trouver en lui-même les forces nécessaires à son unité et à son organisation, cette déclaration accompagne les efforts récents accomplis par les Américains, pour tenter de trouver un chemin adapté dans la région, avec cette conférence internationale qui se prépare pour les semaines à venir aux Etats-Unis. Sans oublier bien sûr la démarche pleine d’espoir du gouvernement et du président de la République français pour organiser l’Union de la Méditerranée, union qui peut évidemment s’inspirer de l’histoire même de Tyr.
Mes chers amis, je crois que l’on peut évoquer quelques points qui me paraissent décisifs. D’abord, cette démarche s’adresse à l’ensemble des Libanais. Elle s’adresse aux autorités libanaises car c’est à elles, en premier lieu, que revient d’assumer l’héritage et la responsabilité de la préservation du site de Tyr. C’est aux autorités libanaises aujourd’hui de faire le premier pas, qui est le pas décisif, en ce qui concerne la protection, la défense, face à tous les drames du moment, de ce site afin qu’il soit préservé et mis en valeur.
Mais dans le Liban d’aujourd’hui, force est bien de reconnaître hélas que le pouvoir central, à supposer que ce mot ait un sens, ne peut pas tout, et que dès lors l’engagement des autorités centrales du Liban ne suffit pas. Il nous faut aussi, comme un point de départ, comme un passage obligé, comme un élément non moins décisif, l’engagement de l’ensemble des partenaires, c’est-à-dire l’engagement de l’ensemble des parties du conflit.
Et c’est pourquoi je voudrais aussi m’adresser personnellement aux forces politiques locales, et en particulier au mouvement Amal, de M. Nabih Berri, et au Hezbollah, et à son chef M. Hassan Nasrallah, Ils sont à Tyr les premiers héritiers de cette noble histoire, c’est leur devoir sacré de préserver le patrimoine qui est le leur et qui n’est pas simplement le leur parce qu’il appartient à toute la Méditerranée, qui est notre patrimoine et qui est un patrimoine mondial. Voilà pourquoi je voudrais appeler à un engagement public des autorités libanaises mais aussi de l’ensemble des responsables des communautés libanaises pour assurer la préservation, la protection, la mise en valeur du site de Tyr, avec un engagement public et vérifiable.
Bien entendu l’appel que nous exprimons ici s’adresse aussi à la communauté internationale. D’abord parce qu’un tel appel concerne aussi les Etats voisins du Liban. Cet appel pour la conservation de cette magnifique cité s’adresse à Israël, parce que quelles que soient les tensions, quelles que soient les crises, quels que soient les drames de cette région hélas renouvelés, Tyr doit être préservée comme un élément décisif de notre passé, de notre présent et de notre futur. Et comme vous avez vu, comme moi, cette ville bombardée comme elle l’a été il y a un an, nous ne pouvons pas ne pas avoir le cœur serré face aux destructions irréparables. Cet appel évidemment s’adresse aussi à la Syrie, qui a sa responsabilité, qui a sa part dans la préservation et le respect dû à cette ville.
C’est pourquoi la convention de 1972 ratifiée par la quasi-totalité des Etats, notamment de ceux que je viens de citer fournit une base juridique, solide, mais il ne serait sûrement pas inutile qu’il y ait des éléments internationaux de vérification et de contrôle. Ce serait bien que le concept même de « ville ouverte », qui n’a pas de reconnaissance sous l’égide internationale, puisse évoluer. Protéger des sites à travers le monde des destructions du temps de guerre serait bien utile, et après tout il ne serait pas déraisonnable de penser qu’autour de Tyr, une réflexion sur le concept même de « ville ouverte » s’engage, qui permettrait de fournir à la Communauté des Nations et à l’Organisation des Nations unies qui l’articulent les éléments juridiques et politiques nécessaires à cela.
Mais pour l’état du droit international, la mise en œuvre de la Convention de 1972, supposerait, un minimum de vérifications concrètes et qu’il ne serait pas déraisonnable qu’à l’occasion de notre rencontre d’aujourd’hui, elle s’organise, en cherchant à savoir comment mettre un terme à un conflit dans la région qui touche aussi le Sud-Liban. Nous avons trouvé un processus de contrôle, et tout le monde sait qu’il ne serait pas du tout absurde qu’un tel processus de contrôle soit non seulement international, mais qu’il associe les autorités concernées, c’est-à-dire les autorités libanaises, et évidemment quelques représentants des pays voisins directement concernés par la mise en œuvre du respect et de la protection du site. Sans que ceci puisse être considéré comme une violation de la souveraineté libanaise, mais au contraire comme un renforcement de celle-ci et comme l’organisation du respect de l’intégrité territoriale libanaise.
Je pense, Monsieur le Président, Madame la Secrétaire générale, Mesdames et Messieurs, que le moment en effet est bien choisi par vous pour que votre symposium puisse être l’occasion de faire en sorte qu’autour de Tyr, non seulement un appel s’organise, mais qu’il ne soit pas simplement un appel de plus, qu’il soit le début de la position permettant d’organiser durablement la sécurisation de la ville de Tyr. Soyez assurés que je serai à vos côtés et que je serai à votre disposition pour aller porter cet espoir, pour aller porter cette ambition, pour aller porter cette clameur populaire auprès des autorités locales quelles qu’elles soient, auprès des autorités libanaises, auprès des autorités syriennes, auprès des autorités israéliennes et auprès du Secrétaire général de l’ONU, de telle sorte qu’enfin Tyr se sente en sécurité, à l’abri et capable de mener avec sérénité les travaux que vous conduisez pour sa sauvegarde devant l’Eternité. Merci. »